Expositions et résidences
Jean-Paul Labro et Lyn Nékorimaté, « Travelling Natures »
Exposition du 13 février au 9 mars 2013
Vernissage 9 février à partir de 15 h
« Ici
se distille, avec le don des nuits,
une voix
dans laquelle tu puises à boire. »
Paul Celan, Grille de parole
L’exposition « Travelling Natures » à la Maison Salvan marque le premier jalon d’une démarche envisagée comme migratoire, à ce titre elle revêt un caractère prototypique. Le projet est amené à se développer à travers d’ultérieures étapes de résidences et d’expositions en France et en Indonésie, jusqu’en 2014. À ce jour, le projet s’est principalement construit auprès d’individus des « communautés » de Labège ainsi que de Pentingsari, village de l’île de Java. Il se fonde tout autant par des protocoles renvoyant à l’observation que par des propositions de dispositifs participatifs.
« Travelling Natures » est ainsi un projet qui se construit au contact de territoires et de communautés d’habitants. Une série de questions pourrait constituer le point de départ de la recherche artistique du collectif Ding. Comment les individus vivent-ils le territoire ? Comment le monde de la nuit, le monde de l’invisible, des esprits, interfère avec le quotidien ? Comment les communautés mobilisent et/ou inventent des rites pour comprendre le monde, pour collectivement y prendre part ? Quels sont les liens objectifs et subjectifs entre les hommes et les cadres de vie ? Nécessairement, – Lyn et Jean-Paul ne sont pas ethnologues – le regard porté est tout autant fantasmagorique que focalisé sur des dimensions tangibles, explicites.
L’exposition à la Maison Salvan est ce regard.
À travers des pièces renvoyant à des pratiques artistiques diversifiées – art vidéo, installation, art numérique, interactivité… – les artistes proposent une atmosphère flottante et rêveuse où se tissent différentes dimensions de l’être au monde. Le public peut alors aborder des territoires indonésiens et français par le prisme de la poésie, selon une forme de méditation sur l’homme – de l’exposition transparaît un profond respect des artistes pour les personnes rencontrées –, à travers une forme d’utopie dans laquelle le diurne et le nocturne, le songe et l’inscription dans le réel, se rencontrent pour former un parfait et très naturel syncrétisme.
Dans le film Level 5, Chris Marker dit qu’il est parfois préférable de faire émerger une image à partir du vide plutôt que depuis une idée. Le réalisateur est très proche de la culture japonaise, le vide est ainsi à entendre dans son acception orientale : comme un vide du bruit du monde mais comme un plein de pensées primitives et premières permettant de réunir le corps à la nature (dans l’espace) et l’esprit au cosmos (dans le temps). Ce vide est un état physique, particulier, de pensée et de connexion au monde ; au fond « Travelling Natures » parle beaucoup de cela aussi. Effectivement, l’exposition propose peut-être au public une expérience dans laquelle il lui faut perdre ses repères pour aborder le monde dans une globalité déraisonnable… et être attentif à vivre, à voir. Il ne serait alors plus question de Labège, de France, de Pentingsari, d’Indonésie.
Dans un territoire rêvé, culturellement hybride, inonder le monde du jour par le monde de la nuit et proposer au public d’évoluer dedans, voilà peut-être la nature du travelling proposée par Lyn et Jean-Paul.
Paul de Sorbier
Visuel : Collectif Ding, Dancing football match, Labège, octobre 2012 (photo : Lucca Michel).
Voir aussi
« Travelling Natures » comprend plusieurs dispositifs :
– Echoerrance : une œuvre d’art numérique basée sur un principe de cartographie sonore avec laquelle le spectateur peut interagir.
Elle intègre des données collectées à chaque étape de résidence, que le visiteur active à son tour par ses déplacements dans les espaces d’expositions successifs.
– Les errances du monde à l’envers : un film d’après Le livre de Centhini par Élisabeth Inandiak qui, à travers le prisme de personnages en quête, permet l’agrégation d’éléments de la mémoire et de la mythologie de l’île de Java.
Le collectif Ding utilise chacune des phases de résidence – aussi bien en France qu’en Indonésie – pour tourner de nouvelles scènes du film.
En outre, « Travelling Natures » agrège différentes actions et performances spécifiques au lieu de résidence.
Les actions suivantes ont été réalisées à Labège depuis 2012 :
– En juin, le collectif Ding proposait une installation/performance dans le parc de Labège : Clouds bus, un bus enfumé dans lequel le public pouvait pénétrer et partir, immobile, pour un voyage sonore convoquant le monde des esprits et de lointains paysages…
– En juillet, le jardin public de la Maison Salvan fut investi par des enfants pour construire un village dont ils devenaient les habitants mystérieux et qui fut le décor d’une partie du tournage des Errances du monde à l’envers : le stage d’été 2012.
– En octobre, ce fut au stade de foot de Labège Innopole d’accueillir la performance (et le tournage) du Dancing Football Match.
– Des médiations de l’exposition « Travelling Nature ».
Performance-concert
Jeudi 7 mars à 21 h : La fugue de cebolang, en collaboration avec Jean-Marc Saint Paul. Entrée libre et gratuite
La fugue de Cebolang : les trois artistes (Lyn Nékorimaté, Jean-Paul Labro et Jean-Marc Saint Paul) proposent une expérimentation sonore et musicale conçue à partir du texte La fugue de Cebolang.
Ce texte est extrait du livre Les chants de l’île à dormir debout d’après la version du Livre de Centhiniétablie par Élisabeth Inandiak.
Où commence et s’arrête La fugue de Cebolang ?
Jeune prince errant à la recherche du gai savoir, Cebolang et ses deux compagnons risquent à tout moment de se perdre dans le plus grand poème de Java. Écrit au début du 19e siècle par trois poètes à la commande d’un sultan, ce texte fleuve de plus de 200 000 vers est conçu pour être chanté, ce qui lui confère une extrême vivacité et un potentiel performatif hors du commun.
La fugue de Cebolang sur les terres de Java, est peut-être la partie la plus débridée du poème, c’est un éloge au vivant et à la liberté, tous les savoirs sont incandescents et s’incarnent dans des personnages qui rendent possibles la vie dans un monde à l’envers.
À l’heure des replis identitaires et religieux, ce texte est aussi une invitation à la sagesse et à l’amour, il nous rappelle qu’en son temps l’Islam éclairée voisinait sans conflit avec le bouddhisme shivaïte et son tantrisme sexuel.
Cebolang a soif de savoirs et de conscience de soi, vagabond céleste, ses rencontres sont légions : grand magicien, roi, sultan, maîtresse en art de l’amour, saint homme, maître en numérologie, femme ouléma, montreur d’ombres, danseurs de reog, opiomane génial, sage ermite, tous sans hiérarchie, instruisent le jeune prince et le révèlent à lui même.
Jean-Marc Saint-Paul est musicien, bassiste et designer graphique. Il vit et travaille à Pau.